Les aventures d'une Québecoise à Hawaii
Semaine du 6 décembre 1999




Lundi 6 décembre 1999

En début de semaine, je me suis concentrée sur la lecture d'un document décrivant un projet de spectropolarimètre pour le CFHT (le document est sur le Web pour ceux que ça intéresse). L'instrument sera conçu et construit en France, puis expédié ici en 2001-2002. Comme je m'y connais en polarimétrie et que je commence à m'y connaître en spectroscopie, et que 1+1=2, on m'a confié la supervision de ce projet de spectropolarimétrie. En fait, le directeur du CFHT m'avait demandé la semaine passée de préparer une petite présentation de 15-20 minutes sur cet instrument pour la rencontre du Conseil de Direction du CFHT qui commence cette semaine. Et comme 2+2=4, il fallait que je m'y mette.

J'ai également travaillé sur ma thèse. Après avoir reçu, fin novembre, les commentaires et corrections suggérées par les 4 membres de mon comité, il me faut maintenant préparer la version finale définitive et qu'on n'en parle plus de la dite brique de plus de 400 pages.



Mercredi 8 décembre

C'est pas tout, la thèse, mais je travaille aussi pour le CFHT, et j'ai aussi des responsabilités en tant qu'astronome support. La semaine dernière, j'avais suivi l'installation de l'instrument OASIS utilisé en mode "non-AOB", mais ce soir commençait une mission OASIS en mode "AOB". J'ai donc suivi l'astronome résident responsable de OASIS jusqu'au sommet, dans l'espoir de voir comment ce truc marche en mode "AOB".

Mais comme on est au mois de décembre et que le dit astronome support attire les nuages comme un aimant attire la limaille de fer, il ne faisait vraiment pas beau. Brume, nuages et frett. Par contre, en montant au sommet, brume et coucher de soleil nous ont offert un su-per-be arc-en-ciel... intense, avec des couleurs franches, complet sur 180 degrés... le pied de l'arc-en-ciel croisait notre route, et on avait l'impression d'être à quelques mètres seulement de l'atteindre... Hawaii, l'île aux arcs-en-ciel...

La combinaison de la brume et du froid peut de toute évidence former de la glace, et comme nous étions monté au sommet sans chaînes ni pneus à clous, l'astronome support et moi surveillions les conditions routières de près. Après une heure de familiatisation avec OASIS (sans étoile, puisque c'était brumeux) et d'échanges avec les observateurs, l'astronome support était prêt à repartir, même si on a intérêt à rester un peu puisqu'on est payé 2.50$ de l'heure lorsqu'on est au sommet. C'est en mentionnant que ça correspond grosso modo à une bière à l'heure que l'astronome support (Québécois, soit dit en passant) a vu le bon côté de la chose... S'en est alors suivu une discussion chaleureuse avec les observateurs, trois français, qui, quelle honte, ne connaissaient pas les bières québecoises brassées par nos micro-brasseries. Petit cours enthousiaste sur nos bières qui récoltent des prix internationaux et surf sur le Web pour ouvrir les horizons culturels de nos chers cousins. En altitude, juste à parler de bière, on devient un peu pompette...

Mais la prudence est de mise, et pour ne pas risquer de passer la nuit au complet au sommet et dans la glace, l'astronome support et moi sommes redescendus, laissant au technicien d'observation et aux observateurs le véhicule équippé de clous. Très bonne initiative, puisque le camion était déjà glacé lorsqu'on a décidé de quitter le sommet. La route était cependant encore bien chaude, et l'eau n'avait pas encore figé.

Encore une fois, j'ai appris en théorie comment l'instrument fonctionne sans voir de visu des images scientifiques.



Jeudi 9 décembre

Le lunch du midi était offert par le CFHT pour souligner la présence des Directeurs du CFHT qui sont ici en réunion pour quelques jours afin de discuter de ce qui va et de ce qui ne va pas dans la compagnie (projets, personnel, budgets, échéances, priorités, planification, etc.). Excellente nourriture, poulet sauce mangue-ananas, boeuf au curri, tartelettes aux fruit et chocolat, de quoi tomber dans les pommes.

Ensuite, un membre de la communauté hawaiienne est venu présenter le point de vue de certains hawaiiens sur le Mauna Kea et la douzaine de télescopes qui occupe son sommet. Comme pour plusieurs polynésiens, le point le plus élevé d'une île est considéré par les Hawaiiens comme un lieu sacré. Sur la Grande Ile, c'est donc le sommet du Mauna Kea.

Les astronomes comprennent donc un peu mieux pourquoi certains hawaiiens protestent contre la présence d'observatoires en un lieu qui leur est sacré. Des fouilles archéologiques prouvent bel et bien que le site revêt une grande importance dans les croyances locales: des tombes et des autels ont été trouvés à plusieurs endroits, dans une couronne un peu en dessous du sommet. Mais attention, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de reliques au sommet que le sommet n'est pas sacré! On nous a expliqué que les forces spirituelles sont si fortes au sommet que personne, ni les chefs ni les prêtres, n'osent s'y aventurer, d'où l'absence d'artefacts religieux mais non du caractère sacré de l'endroit. Un document sur le Web décrit plusieurs aspects du Mauna Kea (géologie, écologie, histoire, astronomie, etc.). Les chapitres (en format PDF) sur l'environnement naturel et la culture sont particulièrement intéressants.

Historiquement parlant, on nous a également appris que les terres hawaiennes ont été prises (volées) par les américains à la fin du siècle dernier. Des Marines américains ont comploté avec des hommes d'affaire peu scrupuleux pour s'approprier le royaume d'Hawaii (et faire de l'argent avec les ressources naturelles des îles). Lors de cette prise de pouvoir, la reine qui gouvernait n'a pas offert de résistance devant cette violation de son territoire, tout d'abord parce qu'elle ne voulait pas que ses sujets perdent leur vie en combattant, et ensuite parce qu'elle pensait pouvoir demander au président américain, qu'elle connaissait bien, de restituer Hawaii aux hawaiiens. Malheureusement, le président ne put rien faire pour aider Hawaii, et c'est ainsi que les îles devinrent la propriété des Etats-Unis.

Et c'est une des raisons pour lesquelles certains hawaiiens protestent, demandent restitution de leurs terres, et contrôle total sur leur île. Rien de neuf sur cette planète.

Ce qui fait que la présence d'observatoires au sommet en chatouille plus d'un, même si les installations donnent plus d'emplois que ne le faisait l'industrie de la canne à sucre jusqu'il y a quelques années encore... La situation est complexe et délicate...

Il ne faut pas prendre les idées et opinions des hawaiiens à la légère. Il existe plusieurs petits groupes organisés qui manifestent de temps en temps, essaient de faire pression sur les décideurs et montrent clairement ce qu'ils veulent...

Après cette présentation de notre invité, ce fut au tour de quelques astronomes et ingénieurs du CFHT de présenter au Conseil des Directeurs les progrès réalisés au cours de l'année précédente et les futurs projets envisagés.

Tout d'abord, le grand cheuf des ingénieurs a présenté une petite étude sur la visibilité des dômes au sommet du Mauna Kea pendant le jour (pollution visuelle selon certains) et sur les propriétés thermiques de différentes peintures utilisées pour recouvrir les observatoires.

Selon la direction des rayons solaires, la forme des observatoires et où on se trouve sur l'île, on peut très facilement remarquer (et être embêté, pour certains) les dômes des observatoires. Au lever et au coucher du soleil, l'observatoire Subaru, par exemple, avec ses surfaces planes, devient très brillant et il est impossible de ne pas le remarquer, alors que les dômes hémisphériques, même si bien illuminés, ne ressortent pas autant. En dehors de ces périodes, Subaru disparaît presque complètement et sa silhouette se confond avec la montagne, alors que les autres dômes sont parfaitement visibles. Si on voulait que les observatoires passent inaperçus, il faudrait leur donner la forme de cubes, par exemple, et non de sphères, et en plus, découper ces surfaces planes en volets orientables pour pouvoir diriger les rayons solaires vers le haut afin de ne pas éblouir la population.

Il y a quelques temps, des écologistes s'étaient plaints de la présence des observatoires au sommet du Mauna Kea, alléguant que la lumière solaire se réfléchissant sur les structures blanches ou métalliques dérangeait la migration de certains oiseaux. Ils avaient donc demandé de peinturer les dômes en bleu ciel (ce qui aurait également réduit la pollution visuelle causée par les dômes). N'étant pas totalement fermé à cette idée, le CFHT a entrepris des tests pour vérifier de quelle façon les dômes se réchauffent le jour et redonnent leur chaleur la nuit selon le type et la couleur de la peinture utilisée. Idéalement, il faut que le revêtement n'emmagasine pas de chaleur le jour, pour ne pas, la nuit venue, dégrader la qualité des images en dégageant cette chaleur autour du télescope. Même si la peinture blanche utilisée par le CFHT n'est pas idéale (une surface réfléchissante non peinturée est meilleure), il s'avère que la peinture bleu ciel est un mauvais choix! Alors notre dôme restera blanc comme neige...

La deuxième présentation devait être faite par un astronome d'ici, en utilisant PowerPoint et un ordinateur portable. Branche le portable. Pas d'image sur l'écran. Vérifie le câblage. Pas d'image. Ah, la technologie... Secouer les connecteurs... pas d'image. Comme le temps pressait, j'ai pris la place pour faire ma propre présentation, sur de bonnes vieilles acétates, ce qui est une technologie plus archaïque mais plus fiable... que je pensais...

Car en plein milieu de ma présentation (sur Espadons), j'ai pointé un item particulier, continué ma phrase, "... and then...", et alors la lumière s'est éteindu. Suspense, "... and then..." (dit-elle en espérant que la lumière revienne toute seule), coup de pied à la machine, pas de lumière, "... and then...", le fil était bien branché, "... and then...", bon, on va essayer la lampe de rechange, "... and then..." aaarg! pas de lumière! "... I need help here...". Technologie plus fiable?!? Murphy était dans la salle! Il y a donc eu un autre délai, mais on a fini par me remettre sur mes rails...

Quatre autres présentations ont été faites par la suite. La dernière portait sur notre superbe caméra CFH12K qui obtient des images incomparables et inégalées. Pour se mettre les membres du Conseil de Direction dans la poche, le Père Noël a distribué de magnifiques affiches grand format de plusieurs objets célestes capturés par CFH12K. Ça les a impressionnés, et ça leur a plu...

Les présentations ont fini un peu tard, et on est presque aussitôt parti vers le Waikoloa Village, où un buffet nous attendait, à l'hôtel Outrigger, juste à côté du luxueux Hilton. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas retrouvée sur le côté chaud de l'île; j'avais presque oublié ce que c'est d'avoir confortablement chaud... Drinks près de l'océan, vin à volonté, buffet généreux incluant des queues de homard et 36 desserts cochons, tout ça aux frais de la Reine... On nous a fait plaisir...



Vendredi 10 décembre

Même s'il n'y a pas de neige, les gens ici se sentent dans l'esprit des Fêtes. Plusieurs décorent leur maison avec des lumières de Noël, incluant le modèle qui ressemble à des glaçons; ça fait bizarre quand il n'y a pas de neige sur le toit, mais ce n'est pas important! D'autres ont installé des Pères Noël en plastique entourés de rennes et d'autres items rappelant le Pôle Nord, qui est un peu loin, je l'avoue.

Aux QG du CFHT, on a un vrai sapin au secrétariat, un vrai vivant qui sent bon et qui me rappelle les forêts parfumées et tranquilles qui dorment sous la neige, là-bas, au Québec... On l'a décoré, chacun donnant ou confectionnant une petite décoration. L'autre astronome résident canadien, aussi (ou avant tout?) québécois, et moi avons fabriqué la boule de Noël la plus originale, sympathique, humoristique, écologique, créative, imaginative qui soit, du moins pour ceux qui ont participé à la conférence de l'ADASS du mois d'octobre. On est allé fouiller pour récupérer les bouts de Velcro non-utilisés (tsé là, les 10 milles de Velcro qu'il avait fallu couper en petits morceaux avec une tranche...), et on en a fait une belle grosse boule noire et blanche, qui a cependant la fâcheuse propriété de coller partout et de piquer un peu... Quand les astronomes bricolent...

Encore z'une fois, souper au Outrigger, sur l'invitation des membres canadiens du Conseil de Direction. Entre canadiens seulement, on a pu discuter du CFHT, de ce qui va et de ce qui ne va pas, ce qui plaît (ou pas) aux astronomes résidents canadiens, ce qu'on pense des tâches qui nous sont confiées, comment on voit les futurs projets. Excellente bouffe, j'ai choisi (aux frais de la reine encore z'une fois) des pâtes Alfredo aux fruits de mer, avec de grosse crevettes rosées et savoureuses, des palourdes onctueuses dans leur crème suave, du poisson frais et un machin sans forme dans sa coquille. Si j'avais eu un appétit aussi respectable que celui de mes confrères, j'aurais pu essayer une entrée (bisque de homard, rouleaux du printemps, salades sophistiquées) ou un dessert (indescriptiblement cochons et appétissants, avec du chocolat partout, un petit bleuet par-ci, une grosse framboise par-là, et des calories à la tonne, et j'en salive rien qu'à y penser). Le repas en valait la peine, pour la bouffe et pour les conversations.



Samedi 11 décembre

Hier, une équipe avait commencé à préparer le prochain instrument à être utilisé, soit MOS/FP (Multi-Object Spectrograph, avec un Fabry-Pérot). Aujourd'hui, des ingénieurs et techniciens devaient monter au sommet pour ôter OASIS et installer MOS/FP au télescope. L'astronome résident québecois et moi-même devions monter en après-midi pour effectuer quelques réglages, et donner aux observateurs une petite introduction sur l'instrument.

Brume, neige, froid, glace... Beaucoup de neige, assez pour faire appel à une souffleuse pour dégager le chemin. Entre l'observatoire Gemini et le CFHT, les vents avaient formé d'énoooooormes bancs de neige qui rendaient l'accès très périlleux. Avec un peu de retard, l'équipe du CFHT a commencé le changement d'instrument... puis a dû tout abandonner en plein milieu, les conditions météo forçant l'évacuation du sommet.

Pendant toute la journée, j'ai été tenue au courant des progrès au sommet, prête à partir en coup de vent si MOS/FP venait à être installé. Si ç'avait été un autre samedi, je serais allée faire des courses, magasiner à Kona, me prélasser sur la plage... mais je suis restée en attente toute la journée, pour rien en plus, puisque l'instrument n'a pas pu être installé...



Dimanche 12 décembre

Installation de MOS/FP, prise 2. L'équipe est remontée au sommet pour terminer l'installation de l'instrument. Les astronomes et ceux qui orbitent autour (ingénieurs, techniciens...) n'ont pas toujours des fins de semaine ordinaires...

Cette fois-ci, Dame Météo a été plus gentille, et j'ai même pu monter en fin d'après-midi pour aller jouer avec l'instrument. Mais encore une fois, à cause de la brume, j'ai vu comment l'instrument fonctionne en théorie, mais pas en pratique! On est resté jusque passé 22h, pestant contre la brume persistante, dégorgée par la montagne gonflée d'eau depuis quelques jours à cause de fortes pluies. Il avait tellement plu que la route juste avant Hale Poaku était recouverte de terre et de gravier sur un bon 50 mètres. La route vers le sommet était quant à elle méchamment bosselée, pleine de rigoles, de crevasses et de traces de coulées de terre... Pour dire à quel point il a plu durant cette semaine, il y a eu des innondations à Hilo (côté vert), les pires depuis plusieurs années, et il y a même eu des avertissements d'innondations pour *Kona* (côté sec!).

La carte des nuages n'était pas très encourageante non plus, alors on s'est résigné, l'astronome de service et moi, à retourner à Waimea. Sur le chemin du retour, on a eu de la brume assez épaisse pour être pelletée (ou presque), mais aussi un superbe ciel dégagé, clair, transparent, constellé d'étoiles piquées... pour 5 minutes...

Je comprends parfaitement bien pourquoi il est pratique d'habiter à Waimea: lorsqu'on arrive vers minuit aux QG, après 3 heures de mauvaise route tape-cul et 5 heures en altitude, on a les deux yeux dans le même trou et on veut son lit vite ça presse!



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© Nadine Manset
Dernière mise à jour: 18 décembre 1999.