Les disques d'accrétion constituent une des pierres angulaires de l'astrophysique moderne : par exemple, les chercheurs
pensent aujourd'hui que les étoiles sont formées à partir d'un nuage de gaz en rotation qui s'effondre sur
lui-même en un disque, avant de finalement former une étoile entourée d'un système planétaire,
confirmant l'hypothèse formulée il y a 200 ans par le mathématicien français Pierre Simon Laplace.
Comprendre en détail la physique des disques d'accrétion, c'est
dévoiler le secret de la naissance du Soleil et de son cortège de planètes.
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Vue d'artiste d'un disque d'accrétion autour d'une étoile jeune. (©David Darling) |
Ce qui, en revanche, n'a pas été prévu par Laplace, ce sont les faisceaux de matière très fins (jets collimatés) qui semblent s'échapper du centre des disques, mais dans une direction perpendiculaire à leur plan. Ces jets sont observés aussi bien au voisinage des étoiles en formation que des galaxies actives, et s'étendent sur des distances considérables, atteignant parfois plusieurs années-lumière dans le cas des étoiles en formation. On pense aujourd'hui que c'est grace à ces jets que le disque parvient à évacuer une grande partie de sa masse et de son moment cinétique, avant de commencer à former les planétésimaux qui donneront naissance aux planètes. Pour produire de tels jets collimatés, les modèles théoriques invoquent la présence d'un champ magnétique, qui jouerait même le rôle principal; pourtant, aucune contrainte observationnelle sur le champ magnétique dans les régions centrales des disques, d'où les jets sont émis, n'était disponible jusqu'à présent. |
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Exemple de disque d'accrétion et de jet dans une protoétoile (ici HH30, et non FU Ori) tels que vus par le Télescope Spatial Hubble: le jet (en rouge) est émis perpendiculairement au disque d'accrétion, vu ici par la tranche (et qui apparaît comme une zone sombre entre deux lobes brillants, en bas de l'image, ©Burrows, STSci/ESA, WFPC2, NASA) |
Pour certains modèles (dits magnétocentrifuges, initialement proposés en 1976), la rotation du disque d'accrétion parvient à torsader le champ magnétique initial (supposé primordial et orienté perpendiculairement au disque). Celui-ci freine le plasma du disque et provoque sa chute vers les régions centrales. Le flux d'énergie magnétique qui en résulte pointe vers l'extérieur du disque et parvient à pousser le plasma hors du disque, en formant un vent et parfois même un jet collimaté. D'autres modèles (dits dynamos) suggèrent que le champ est produit à l'intérieur même du disque, par des processus proches de ceux qui génèrent le champ magnétique du Soleil. |
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La rotation du disque (au centre de l'image) torsade le champ magnétique (représenté ici en jaune) initialement vertical, ce qui conduit à l'expulsion de matière perpendiculairement au disque (cylindre bleu sur l'image) et à la formation d'un jet collimaté. Ce résultat a été obtenu par simulation numérique (©Casse & Keppens 2004) |
En détectant les signatures du champ magnétique (par effet Zeeman) sur des milliers de raies d'absorption formées dans les régions internes du disque (à moins de 0.2 unité astronomique du centre), des astrophysiciens[1] du Laboratoire d'Astrophysique de Toulouse-Tarbes (LATT: UMR CNRS, Université Paul Sabatier, Observatoire Midi-Pyrénées) et du Laboratoire d'Astrophysique de Grenoble (LAOG: UMR CNRS, Université Joseph Fourier, Observatoire des Sciences de l'Univers de Grenoble) ont pu démontrer la présence d'un champ magnétique d'environ 0.1 Tesla, comparable à celui qui émerge des taches du Soleil. De plus, ils ont pu établir que ce champ possède à la fois une composante verticale (perpendiculaire au disque) et azimutale (dans le plan du disque et perpendiculaire au rayon), en accord avec les modèles magnétocentrifuges (et en contradiction avec les modèles dynamos). Enfin, il semble que ce champ réussisse à freiner le plasma du disque plus que ne le prévoient les modèles, ce qui pourrait expliquer pourquoi certains disques ne parviennent pas à former de jet collimaté. |
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Le signal polarimétrique de FU Orionis (V/Ic, courbe supérieure, amplifié d'un facteur 100 sur ce graphique) détecté dans la raie d'absorption (I/Ic, courbe inférieure) est 2000 fois plus faible que l'intensité lumineuse (Ic) en provenance de la source (©Donati). |
Cette découverte a été possible grâce au nouveau spectropolarimètre ESPaDOnS[2] construit à l'Observatoire Midi-Pyrénées (par le Groupe d'Instrumentation Grands Télescopes du LATT) et récemment installé au Télescope Canada-France-Hawaii (TCFH[3]). La technique de spectropolarimétrie consiste à mesurer la polarisation de la lumière émise par un objet astrophysique, et notamment sa variation à travers les raies spectrales de l'objet observé. |
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Le Télescope Canada-France-Hawaii est situé au sommet du volcan Mauna Kea dans la grande île de l'archipel d'Hawaii (©Cuillandre, CFHT). |
Cette technique, utilisée couramment en physique solaire (notamment pour la mise en évidence du champ magnétique du Soleil au début du XXième siècle), est relativement nouvelle, et donc très prometteuse, dans les autres domaines de l'astrophysique. ESPaDOnS est aujourdhui l'instrument le plus performant au monde pour ce genre d'étude, et le seul capable de détecter les signaux polarimétriques très faibles émis par les disques d'accrétion. |
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ESPaDOnS est constitué de deux éléments, un polarimètre installé au foyer du télescope (à gauche) qui alimente par fibres optiques un spectrographe à haute résolution (à droite; ©CFHT). |