Les aventures d'une Québecoise à Hawaii
Semaine du 24 janvier 2000




Lundi 24 janvier

Opération de Relations Publiques. Visite au sommet pour un professeur de l'Université de Montréal qui était directeur du département de physique lorsque j'y faisais mon baccalauréat, et sa femme.

Superbe journée, ce qui est assez exceptionnel ces temps-ci. Ciel bleu, peu de vent, pas trop frais. Sur la Saddle Road, on commence à deviner que l'hiver achève (yé!): l'herbe est moins verte et commence à jaunir par endroits, signe que la pluie se fait plus rare. Il y a cependant plein de vaches dans les champs, qui broutent le gazon avant qu'il ne se transforme en poussière.

Comme on avait le temps avant le souper de 16h, on est arrêté au Centre pour Visiteurs situé juste avant Hale Poaku. C'était la première fois que je m'y arrêtais, et j'ai pu discuter d'astronomie et de télescope en utilisant des photos d'archive de la construction du CFHT et des autres télescope.

Souper à HP, montée juste avant le coucher du soleil. Visite des installations, du sous-sol au grenier, puis sortie sur la passerelle. Je pense que c'était mon 2e coucher de soleil au sommet du Mauna Kea. L'horizon bien dégagé a englouti le soleil orange vif, et j'ai peut-être même vu un semblant de "green flash", cet éclair vert que l'on voit parfois juste avant que le soleil s'enfonce sous l'horizon. Les couleurs étaient absolument superbes: des oranges chauds, des rouges sanglants, du bleu profond, et puis, plus tard, du noir d'encre parsemé de milliers d'étoiles...

C'était la première fois que je prenais la peine de rester dehors assez longtemps pour que mes yeux s'habituent à l'obscurité. L'absence de vent et la température agréable, 4 degrés Celsius, ont facilité l'expérience. J'ai rarement vu autant d'étoiles dans le ciel... En fait, vu qu'il y a moins d'atmosphère au-dessus de nos têtes pour absorber les photons, je n'avais probablement jamais vu autant d'étoiles, même à l'Observatoire du Mont Mégantic.

Orion, Taureau, Sirius... Cassiopée... une immense Voie Lactée où les étoiles dominent sur le fond du ciel.

Peu à peu, les nuages qui recouvraient le côté vert de l'île et nous cachaient la côte se sont dissipés... Les lumières (intenses et offensantes pour tout astronome) des villes côtières sont apparues. Hilo et plusieurs agglomérations. La côte se découpait très bien de l'océan. Si nous avions attendu encore un peu, on aurait probablement pu voir la lumière émise par le volcan, au Sud de l'île. Mais il fallait bien redescendre, car mes invités avaient presque 3 heures de route à faire avant de retrouver leur hôtel.

On est donc redescendu, phares éteints au début, ce qui impressionne toujours un peu les passagers.

Cette fois-ci, on m'a remerciée avec un genre de beurre d'érable fait de sirop pur savamment chauffé pour retenir tout le sucre et la saveur... sur des toasts, c'est paradisiaque... j'en salive rien qu'à y penser et mon clavier d'ordinateur dégouline... Emmenez-en, des visiteurs!



Mardi 25 janvier

Opération de Relations Publiques (eh bé oui, encore). Visite au sommet pour un député du parti réformiste de la Colombie-Britanique. Traitement VIP...

Le traitement VIP inclut: (1) un transport sur la Saddle Road en Torpille-Escargot (la soucoupe volante bleue qui décolle de la route dans les côtes qui descendent mais ahane en arrivant à Hale Poaku), (2) un dîner généreux (Dieu merci, c'était la "bonne" équipe de cuisiniers), (3) un trajet en suburban 4x4 poussiéreux qui m'a donné du fil à retordre en voulant sortir du stationnement (avance recule avance recule avance recule - attention le véhicule d'à côté, le rétroviseur dépasse, le véhicule est trop long, attention ça va accrocher à droite, attention ça va accrocher à gauche - mais c'est qui l'andouille qui a stationné le véhicule en dernier!?!?), (4) une météo parfaite avec un ciel bleu, du soleil et peu de vents, et (5) une conversation sans limites sur (a) l'astronomie, (b) les recherches les plus récentes et les plus hot, (c) quelques petits cours de base sur les étoiles, les galaxies, l'Univers, le Big Bang, les planètes et tutti quanti, (d) la description d'un CV typique d'astronome, (e) le détail des tâches d'un astronome résident, (f) les techniques d'observation, (g) l'observatoire, et (z) les trucs pour ne pas être malade en altitude. J'ai pas arrêté de parler, quoi, et d'écouter, aussi.

Vu le nombre de questions qu'ils posaient, ils ont suivi mes explications, sauf peut-être la théorie du Big Bang que j'ai essayé d'expliquer au sommet (avec 60% d'oxygène) vers la fin de l'après-midi. Difficile de comprendre et de saisir qu'avant le Big Bang, il n'y avait pas de temps, donc que la question "qu'y avait-il avant le Big Bang?" ne veut rien dire. Difficile aussi de visualiser que l'Univers n'a pas de centre même si toutes les galaxies s'éloignent les unes des autres. J'ai eu deux paires d'yeux interrogatifs et intenses qui me regardaient dubitativement pendant cette petite tentative d'incursion dans la cosmologie.

Au retour, sur la Saddle Road, on a constaté que les militaires sont de retour à leur base pour leur entraînement, après plusieurs mois de calme plat: des files de camions soulevant des tonnes de poussières sur la route non-pavée qui longe la Saddle Road, des dizaines d'autres véhicules sagement stationnés, hélicoptères volant à basse altitude, jets qui nous sont passés à toute vitesse au-dessus de la tête, et un autre jet qu'on n'a jamais vu venir qui nous a surpris dans un vacarme intense et nous a tous fait sursauter. Un peu plus et je prenais le champ...



Mercredi 26 janvier

Oh que je vais m'amuser... je viens de recevoir mon formulaire de déclaration d'impôts pour le gouvernement du Québec... Suivra très certainement celui pour le Canada. Et ensuite, celui de l'état d'Hawaii et Oncle Sam... Quatre déclarations à remplir. Ça va être drôle...



Samedi 29 janvier

Exploration du côté vert de l'île...

J'ai commencé par quitter Waimea du côté mouillé, en prenant la vieille route qui rejoint Honokaa un peu plus loin, à environ une quinzaine de kilomètres. Alors que la route normalement utilisée pour rejoindre Hilo est belle, droite et achalandée, la vieille route est plutôt déserte, étroite, sinueuse à souhait et pleines de bosses et de trous, un peu comme la Saddle Road. L'inconfort est largement compensé par le paysage, des champs et pâturages vallonnés parfois bordés d'arbres immenses, quelques maisons par-ci par-là, et surtout, un réseau de tunnels jadis creusés par la lave...

Tout ce que l'on voit des tunnels, ce sont des ouvertures béantes de quelques mètres à peine qui bordent la route, dissimulées par des fougères et un couvert végétal luxuriant. Le livre que je garde avec moi comme une bible indiquait clairement où arrêter pour explorer la cave la plus intéressante...

Armée de 2 lampes de poche (ne prenons pas de chance, c'est qu'il fait très noir là-dedans), j'ai commencé ma petite (et facile) exploration. L'entrée, tapissée de petites fougères, fait quelques mètres de large et est assez haute pour que je ne me frappe pas la tête au plafond (ouais, bon, d'accord, je ne suis pas très grande...). Le réseau de tunnels est assez grand pour que la petite aventure dure 15 ou 20 minutes, mais pas vraiment assez grand pour qu'on s'y perde; la sortie est toujours proche. Des flèches et indications peintes à certaines intersections facilitent la visite et rassurent un peu, car on tourne parfois en rond et certains tunnels communiquent entre eux. Tous les tunnels que j'ai trouvés, et dans lesquels on circule facilement, se terminent par des culs-de-sac ou ont été bouchés par des murs de pierres. Murs récents ou plus anciens, je ne sais pas, mais je sais que ces tunnels ont déjà été utilisés comme abris par les hawaiiens qui se faisaient des plates-formes horizontales et surélevées en empilant des roches volcaniques.

La vieille route et cette cave valent le détour. J'imagine que peu de gens connaissent l'existence de ces caves, et pourtant, c'est une particularité très intéressante de l'île.

J'ai continué ma route sur la Old Mamalahoa Highway jusqu'à Honokaa où les deux Mamalahoa Highway, la vieille et la nouvelle, se rejoignent. La journée était plutôt nuageuse et un peu pluvieuse, mais pas de pluie tropicale et torrentielle, juste une petite bruine fatigante.

La bruine m'a accompagnée pendant toute la visite du Park Kalopa, qui abrite une forêt tropicale indigène, typique de l'île avant que le déboisement ne change irrémédiablement son visage. Le Parc est situé un peu après Honokaa, mauka (vers la montagne) à une altitude d'environ 2500 pieds. Ça grimpe, ça grimpe avant d'arriver au parc, mais la petite route fait découvrir des maisons qui ont une vue absolument imprenable sur l'océan.

La forêt Kalopa, constituée de 615 acres de d'arbres, plantes et animaux indigènes (arrivés sur l'île sans intervention humaine), introduits par les Polynésiens, ou "étrangers" (introduits durant les 200 dernières années) fut mise à part du reste du territoire en 1903 et reçut à partir de ce moment une bonne protection environnementale. Cependant, avec les années et des coupes irréfléchies, la forêt rétrécit petit à petit et il fallut la pression de la communauté pour qu'un parc de 100 acres soit créé , en 1967. Un programme d'entretien essaie d'éliminer les plantes étrangères et favoriser la conservation des plantes indigènes ou introduites par les Polynésiens. Quand on sait que 89% des 1000 variétés de plantes indigènes ne se retrouvent nulle part ailleurs dans le monde, on comprend un peu mieux le pourquoi de cette protection agressive contre les quelque 900 plantes, souvent invasives, introduites récemment!

Si j'avais eu plus de temps, j'aurais exploré plus en profondeur le parc et ses sentiers, mais, aidée d'un feuillet explicatif, la petite boucle principale qui serpente sur 0.7 mille m'a pris au-delà d'une heure! Sous le couvert végétal abondant, la pluie ne m'a heureusement pas trop mouillée, mais sa présence est essentielle puiqu'il s'agit d'une forêt pluvieuse (rain forest)! Pas âme qui vive, je n'ai croisé qu'une seule autre personne. Quelques oiseaux peu bavards, du vert partout, le doux bruit de la pluie qui tombe, un calme serein, l'air un peu frais et humide, et quelques maringouins.

J'ai appris à différencier quelques espèces indigènes d'arbres et de plantes. Jadis, les îles étaient dominées par des arbres ohia, qui sont reconnaissables par leur tronc gris clair, une écorce rugueuse, et de petites feuilles qui poussent sur les branches les plus hautes; s'il y a des branches basses avec des feuilles, ce n'est pas un ohia. La plupart des ohia qui restent sont matures, et très peu de jeunes ohia arrivent à pousser à l'ombre des arbres qui les entourent, ce qui fait que, malheureusement, le nombre de ohia diminue irrémédiablement. Les ohia sont cependant capables de pousser sur de vieux troncs d'arbres morts, ou même sur des arbres encore vivants, ce qui donne, de temps en temps, un arbre qui a commencé à pousser à deux ou trois mètres du sol, sur la branche relativement horizontale d'un compagnon, ou encore, un enchevêtrement de racines tenaces qui enveloppe une vielle souche et donne naissance plus haut à un ohia. Les ohias sont également têtus, et continuent de pousser même si un voisin leur tombe dessus ou s'appuie sur eux, et parfois deux ohias semblent se rejoindre pour ne former qu'un.

Le plus gros ohia de la forêt a un diamètre de près de 6 pieds, et son âge, difficile à évaluer parce que l'absence de saison ne produit pas d'anneaux de croissance marquant les années, serait de 200 à 500 ans. Cet arbre, et quelques autres géants, sont vraiment impressionnants, et par le diamètre de leur tronc et par leur taille. Je pense que je l'ai déjà dit, mais ici à Hawaii, la hauteur des arbres, qui poussent sans connaître l'hiver et le froid, n'a rien à voir avec celle de nos arbres québécois...

J'ai aussi appris à reconnaître les arbres kopiko (il a d'abord fallu que j'arrive à mémoriser le nom de ces arbres - kopo, kipo, poki, kopi oui! Ko-pi-ko! - avant de pouvoir ensuite les reconnaître. En marchant, je récitais un chapelet: ohia, kopiko, ohia, kopiko, ohia...). Ces arbres ont un tronc lisse et plus foncé que celui des ohia. Contrairement aux ohia, les kopiko continuent de pousser même de nos jours.

Faciles à repérer à cause de leur tronc lisse qui arbore des teintes rosées ou ambrées, les arbres guavas ne sont cependant pas indigènes et poussent comme de la mauvaise herbe, prenant toute la place et étouffant les espèces indigènes, moins agressives.

Les kukui sont des arbres introduits par les premiers Polynésiens, et produisent des noix qui étaient jadis utilisées pour fabriquer de l'huile.

Le kolea peut se reconnaître grâce à ses fleurs roses "nanane", et quand on voit un petit insecte bleu métallique se promener sur une de ces fleurs roses, l'effet est tout à fait mignon.

A part les arbres, il y a aussi quantités de fougères: hapuu ii, hapuu, hoio, nianiau, meu... Ces différentes espèces de fougères poussent parfois directement sur le sol, parfois au sommet d'un tronc de quelques dizaines de cm, et leurs feuilles sont parfois très simples et banales, ou sinon très délicatement découpées. Certaines de ces fougères sont utilisées pour faire des leis (colliers de fleurs ou de fougères qui se portent autour du cou, des poignets ou des chevilles).

Quand on pense à "forêt tropicale", on imagine souvent entendre une cacophonie d'oiseaux, de singes, et autres animaux, mais j'ai entendu très peu d'oiseaux, et c'était plutôt très calme.

J'aurais pu rester tout l'après-midi dans le parc, mais j'avais un plan en tête (me rendre jusqu'à Hilo pour aller voir un film), alors j'ai continué mon exploration du côté vert de Hawaii.

Encore une fois, la nouvelle route Mamalahoa est bien belle, droite, large et agréable, mais la vieille route est plus pittoresque... Elle traverse des "camps" datant de la période des plantations de canne à sucre: petites communautés regroupant des travailleurs immigrants d'un même pays (Portugal, Japon, Philipines...) et habitant de petites maisons modestes mais coquettes. Modestes et coquettes, mais quelle vue ils avaient! L'océan sur 180 degrés, à perte de vue, au pas de leur porte...

La route, bordée d'arbres immenses d'où pendent des lianes ou des fleurs incroyables, passe sur de vieux petits ponts qui enjambent des ravins, alors que bien au-dessus de nos têtes, la nouvelle route emprunte le chemin facile qui était jadis utilisé par le train (qui n'existe plus). D'en haut, de la nouvelle route, on ne soupçonne même pas l'existence de ce petit chemin, de ces communautés bien cachées, et de ces paysages verdoyants.

Autre arrêt tout aussi spectaculaire plus loin, à la pointe de Laupahoehoe. La ville qui porte ce nom est associée à une terrible tragédie qui s'est passée en 1946, lorsqu'un tsunami a ravagé la côte et emporté 21 écoliers et 3 adultes. A la suite de ce drame, le village a été déplacé plus haut, à l'abri... La route qui mène à la pointe serpente et longe le roc, où certaines roches un peu protubérantes sont peintes en blanc pour qu'on ne les accroche pas... Au détour d'une courbe, on voit soudainement la côte magnifique, avec falaises après falaises après falaises les unes derrières les autres, falaises où les vagues puissantes (pas de baignade ici) déferlent sans pitié, blanches et rugissantes. Du haut de certaines falaises, on voit quelques petites cascades tomber dans l'océan, de vrais paysages de cartes postales en direct du paradis. En regardant vers la montagne, c'est la forêt tropicale dense, avec ses arbres immenses, des palmiers et cocotiers, et quelques pointes de couleurs par-ci par-là. Ça vaut le détour! C'est à couper le souffle!

Un dernier petit arrêt avant d'atteindre Hilo, le parc de la plage Kolekole. A cause du temps couvert et de l'heure avancée, par un chat, mais l'endroit, avec sa petite rivière qui se jette dans l'océan et sa cascade qui a troué la montagne, doit attirer les connaisseurs lorsqu'il fait beau. J'imagine très bien des adolescents se pendre à la corde au-dessus de la cascade, et se jeter avec elle dans la rivière...

Hilo, enfin, ma destination! Cinéma super-confort avec des sièges à haut dossier où on peut appuyer notre tête, et qui basculent comme une chaise berçante pour qu'on s'y blottisse plus confortablement. Le gros luxe. Film: Galaxy Quest, une comédie que tous les fans de Star Trek devraient voir...

Grosse journée... Après le cinéma, retour à la maison.



<--- Le Début
---> La Suite

© Nadine Manset
Dernière mise à jour: 13 février 2000.